samedi 8 juillet 2017

LOUP, RÉTROSPECTIVE 2007 AU SÉNAT

LE TÉMOIGNAGE DE MME ISABELLE FEYNEROL, ÉLEVEUR DANS LES ALPES-MARITIMES

« Logiquement, nous avons tous ri, enfants, de la peur du loup. Nous avons été à l'école pour acquérir des bases et vivre dignement de notre métier. Le septième art, avec Kevin Costner dans Danse avec les loups, et avec L'ours de Jean-Jacques Annaud, nous a épris.

Nous vivons auprès de tous les utilisateurs des espaces agricoles privés, communaux, des randonneurs, tantôt scientifiques, tantôt bucoliques, des amoureux de la nature, des chasseurs, des soigneurs, des sportifs, des débroussailleurs, des pâtres, des agriculteurs, et notre acuité n'a cessé de s'aiguiser sur notre environnement et ses grands équilibres.

Une révolution éclate vers les années 90.
Celui qui avait disparu de nos paysages colonise l'arc alpin et propage la terreur dans le milieu pastoral, complètement vulnérable.

Ailleurs, grosses polémiques entre chiens et loups, entre pro et contre.

Mes collègues, dans le Mercantour, assaillis, écrivent, manifestent, c'est insupportable.
Les actions des groupes professionnels entre 1993 et 2002 sont multiples. L'incompatibilité entre présence du loup et maintien d'un pastoralisme durable est réaffirmée.

En 1999, le rapport de mission parlementaire conclut que le loup doit être exclu des zones d'élevage. En 2001, une rencontre européenne demande la renégociation de la Convention de Berne et aboutira à la création de l'association européenne de défense du pastoralisme contre les prédateurs.

J'habite à l'opposé du département, à 40 km au nord de Cannes et à partir de 2002, je subis six attaques, et là, de fait, je me suis ouverte à la complexité !
5 novembre 2002, création de la commission d'enquête parlementaire sur les conditions de la présence du loup en France.

Serait-ce possible alors ?

19 structures intervenantes, pour quatre années de recherche sur les systèmes d'élevage en montagne méditerranéenne confrontés à la prédation, c'est le séminaire d'Aix-en-provence (15 et 16 juin 2006).
Pendant ces quatre années, il y a péril en la demeure. J'ai opté pour l'adaptation. Afin de tout mettre en oeuvre pour protéger mes animaux, je signe la mesure, et les pouvoirs publics nous aident ... ou achètent notre silence ... ? Et pour dormir, je compte les moutons.

Merci Marie et Mathieu de m'aider pour construire quatre parcs de nuit, merci Benoît de m'aider à faire héliporter ma cabane sur la crête du Thiey, mon estive, et merci l'ONCFS, pour les expertises de cadavres et constats de charognes.

Je suis dévorée par le besoin de COMPRÉHENSION, je lis tout ce que je peux trouver à ce sujet. La fascination du loup est énorme, elle fait couler de l'encre et les publicitaires l'utilisent.

J'enrage de mon impuissance quand je constate les dégâts par temps de brouillard l'hiver, par pleine lune les nuits d'été, par Mistral qui m'empêche d'entendre mes cloches et quand mon troupeau se divise, dans des zones boisées.
C'est comme l'épée de Damoclès.

Il y a un habitat sur la montagne du Cheiron, la vallée derrière. Tous les éleveurs y sont passés, tous ont connu ces paniques inouïes de troupeau (je pense au Silence des agneaux).
Ma vie n'est pas du cinéma.

Mes contraintes se sont multipliées, je dois réagir à la désorganisation, je dois m'en sortir.
Bien qu'ayant mon permis de chasser, devrais-je apprendre à tirer un loup si la pression due à la progression de 20 % par an de la population de canis lupus m'y obligeait ?
C'est qui, qui doit faire les frais ?

Si un jour, cher Monsieur le sénateur, nous parvenons à transmettre ceci, sans aucun sarcasme autour ;
Si le sapere aude de Kant (« aie le courage de raisonner par ton propre entendement »), la devise des Lumières, peut tenir en éveil notre assemblée ;
S'il vous plait de nous reconnaître une place utile dans notre société ;
Communiquerons nous avec tous les arts, pour montrer notre détermination, notre engagement, notre rusticité pour résister à tout, notre instinct de conservation, et penser parallèlement à notre force, que nous accumulons pour relancer l'élevage ovin ?

Contre-attaquerons-nous chaque mauvais exemple, les caricatures folkloriques, les humiliations faites à ce métier, avec autant d'art ?
Pour cette nouvelle rentrée, vous avez battu la campagne et vu ceux qui l'entretiennent, et vous avez mesuré les investissements humains colossaux qui ont été mis en oeuvre pour survivre en zone défavorisée.

On ne badine pas avec la sueur de nos prédécesseurs. On regarde chaque muret, on sait ce qu'un lopin de terre a coûté, on se souvient de tous ces cailloux à ramasser et de tous ces canaux à entretenir pour que coule l'eau et la vie.
« Aussi peu nombreux sont ceux qui ont réussi à se dégager de la minorité par un travail de transformation opéré sur leur propre esprit et à faire tout de même un parcours assuré » (dixit Kant).

Alors si une résonance de notre entrevue du 25 juillet dernier peut se réaliser, si ma raison de vivre vous a convaincus, je resterai bergère et libre de mes pensées sur un loup qui n'est pas plus à protéger que chacun de nous ».

Rapport d'information n° 168 (2007-2008) de MM. Gérard BAILLY et François FORTASSIN, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 16 janvier 2008

Revenons à nos moutons : un impératif pour nos territoires et notre pays 16 janvier 2008


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