LE TÉMOIGNAGE DE MME ISABELLE FEYNEROL, ÉLEVEUR
DANS LES ALPES-MARITIMES
« Logiquement, nous avons tous ri, enfants, de
la peur du loup. Nous avons été à l'école pour
acquérir des bases et vivre dignement de notre métier. Le
septième art, avec Kevin Costner dans Danse avec les loups, et
avec L'ours de Jean-Jacques Annaud, nous a épris.
Nous vivons auprès de tous les utilisateurs des
espaces agricoles privés, communaux, des randonneurs, tantôt
scientifiques, tantôt bucoliques, des amoureux de la nature, des
chasseurs, des soigneurs, des sportifs, des débroussailleurs, des
pâtres, des agriculteurs, et notre acuité n'a cessé de
s'aiguiser sur notre environnement et ses grands équilibres.
Une révolution éclate vers les années
90.
Celui qui avait disparu de nos paysages colonise l'arc
alpin et propage la terreur dans le milieu pastoral, complètement
vulnérable.
Ailleurs, grosses polémiques entre chiens et loups,
entre pro et contre.
Mes collègues, dans le Mercantour, assaillis,
écrivent, manifestent, c'est insupportable.
Les actions des groupes professionnels entre 1993 et 2002
sont multiples. L'incompatibilité entre présence du loup et
maintien d'un pastoralisme durable est réaffirmée.
En 1999, le rapport de mission parlementaire conclut que
le loup doit être exclu des zones d'élevage. En 2001, une
rencontre européenne demande la renégociation de la Convention de
Berne et aboutira à la création de l'association
européenne de défense du pastoralisme contre les
prédateurs.
J'habite à l'opposé du département,
à 40 km au nord de Cannes et à partir de 2002, je subis six
attaques, et là, de fait, je me suis ouverte à la
complexité !
5 novembre 2002, création de la commission
d'enquête parlementaire sur les conditions de la présence du loup
en France.
Serait-ce possible alors ?
19 structures intervenantes, pour quatre années de
recherche sur les systèmes d'élevage en montagne
méditerranéenne confrontés à la prédation,
c'est le séminaire d'Aix-en-provence (15 et 16 juin 2006).
Pendant ces quatre années, il y a péril en
la demeure. J'ai opté pour l'adaptation. Afin de tout mettre en oeuvre
pour protéger mes animaux, je signe la mesure, et les pouvoirs publics
nous aident ... ou achètent notre silence ... ? Et pour dormir, je
compte les moutons.
Merci Marie et Mathieu de m'aider pour construire quatre
parcs de nuit, merci Benoît de m'aider à faire héliporter
ma cabane sur la crête du Thiey, mon estive, et merci l'ONCFS, pour les
expertises de cadavres et constats de charognes.
Je suis dévorée par le besoin de COMPRÉHENSION, je lis tout ce que je peux trouver à ce sujet. La
fascination du loup est énorme, elle fait couler de l'encre et les
publicitaires l'utilisent.
J'enrage de mon impuissance quand je constate les
dégâts par temps de brouillard l'hiver, par pleine lune les nuits
d'été, par Mistral qui m'empêche d'entendre mes cloches et
quand mon troupeau se divise, dans des zones boisées.
C'est comme l'épée de
Damoclès.
Il y a un habitat sur la montagne du Cheiron, la
vallée derrière. Tous les éleveurs y sont passés,
tous ont connu ces paniques inouïes de troupeau (je pense au Silence
des agneaux).
Ma vie n'est pas du cinéma.
Mes contraintes se sont multipliées, je dois
réagir à la désorganisation, je dois m'en sortir.
Bien qu'ayant mon permis de chasser, devrais-je apprendre
à tirer un loup si la pression due à la progression de 20 % par
an de la population de canis lupus m'y obligeait ?
C'est qui, qui doit faire les frais ?
Si un jour, cher Monsieur le sénateur, nous
parvenons à transmettre ceci, sans aucun sarcasme autour ;
Si le sapere aude de Kant (« aie le
courage de raisonner par ton propre entendement »), la devise des
Lumières, peut tenir en éveil notre
assemblée ;
S'il vous plait de nous reconnaître une place utile
dans notre société ;
Communiquerons nous avec tous les arts, pour montrer notre
détermination, notre engagement, notre rusticité pour
résister à tout, notre instinct de conservation, et penser
parallèlement à notre force, que nous accumulons pour relancer
l'élevage ovin ?
Contre-attaquerons-nous chaque mauvais exemple, les
caricatures folkloriques, les humiliations faites à ce métier,
avec autant d'art ?
Pour cette nouvelle rentrée, vous avez battu la
campagne et vu ceux qui l'entretiennent, et vous avez mesuré les
investissements humains colossaux qui ont été mis en oeuvre pour
survivre en zone défavorisée.
On ne badine pas avec la sueur de nos
prédécesseurs. On regarde chaque muret, on sait ce qu'un lopin de
terre a coûté, on se souvient de tous ces cailloux à
ramasser et de tous ces canaux à entretenir pour que coule l'eau et la
vie.
« Aussi peu nombreux sont ceux qui ont
réussi à se dégager de la minorité par un travail
de transformation opéré sur leur propre esprit et à faire
tout de même un parcours assuré » (dixit Kant).
Alors si une résonance de notre entrevue du 25
juillet dernier peut se réaliser, si ma raison de vivre vous a
convaincus, je resterai bergère et libre de mes pensées sur un
loup qui n'est pas plus à protéger que chacun de
nous ».
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