L’adoption des moyens de protection des troupeaux sur le territoire des Grands Causses permettrait-elle aux systèmes d’élevage ovins de rester viables face à l’arrivée des loups ?
Le département Sciences pour l’action et le développement de l’Inra
et Montpellier SupAgro (UMR Selmet, Montpellier) ont analysé, en
collaboration avec le CERPAM (Centre d’Etudes et de Réalisations
Pastorales Alpes Méditerranée, Manosque), quelles seraient les
conséquences de l’adoption des moyens de protection des troupeaux sur la
viabilité des élevages ovins au sud du département de l’Aveyron
(périmètre de 45 communes sur les Causse du Larzac, Causse Noir et
Avant-Causses). Outre les résultats spécifiques à la situation, la
recherche produit une démarche et des connaissances à valeur générique
pour des paysages et des systèmes d’élevages ovins avec pâturage, déjà
confrontés ou ayant à anticiper le risque de prédation par les loups.
La recherche a été menée à l’initiative de la
Préfecture de l’Aveyron. Elle se place en anticipation d’une éventuelle
présence régulière de loups dans le département, premier département
moutonnier de France. Le périmètre étudié de 45 communes contigües
présente un intérêt scientifique par sa diversité de milieux et de
systèmes d’élevage basés sur le pâturage, dont plusieurs se retrouvent
également dans d’autres régions françaises.
Une démarche par scénarisation de stratégies de protection en élevage
D’une
superficie totale de 180 600 ha, le périmètre d’étude est un espace
occupé à 39 % par l’agriculture et à 55 % par la forêt et des espaces de
pelouses et landes, dont une part importante est exploitée par le
pâturage des ovins. L’imbrication de six types paysagers (depuis les
openfields jusqu’aux bois, clairières et falaises) est telle qu’aucune
portion significative du périmètre ne peut être considérée comme peu
exposée au risque de prédation par les loups. L’abondance des haies et
massifs de buis qui forment des labyrinthes et petites lisières où le
prédateur peut aisément se dissimuler renforce ce diagnostic. La
recherche s’est centrée sur les 315 élevages ovins de plus de 100 têtes
du périmètre, ce qui représente 157 000 brebis, dont 136 000 brebis
laitières. Les modalités de mise en œuvre des moyens de protection des
troupeaux ovins laitiers et allaitants ont été réfléchies en utilisant
ceux définis dans l’actuel plan d’action national loup 2013-2017. La
démarche des chercheurs repose sur la scénarisation de stratégies de
mises en œuvre de la protection et l’évaluation quantitative et
qualitative des impacts de ces stratégies, aux deux échelles que sont
les élevages et le périmètre d’étude. Sont considérés ici, non seulement
les moyens de protection, mais aussi les changements du fonctionnement
technique, économique et d’organisation du travail des systèmes
d’élevage dans des contextes paysagers variés.
Des animaux conduits au pâturage en différents lots et quasiment toute l’année
La
conduite actuelle des élevages ovins repose sur le pâturage et la
constitution de stocks fourragers à distribuer en bergerie. La présence
d’animaux au pâturage varie de 8 mois à 12 mois de l’année, avec la
présence simultanée, en moyenne, de 3 à 4 lots d’animaux différents au
pâturage dans des parcs clôturés. Dans ces parcs, les animaux se
dispersent naturellement en petits groupes pour s’alimenter. En
s’appuyant sur notre expertise acquise depuis plus de 20 ans dans les
situations alpines et provençales, sur les usages observés dans le
périmètre d’étude, ainsi que sur la littérature scientifique
internationale, nous choisissons de mettre en œuvre, parmi les moyens de
protection du plan loup 2013-2017, l’association de chiens de
protection et de clôtures sécurisées. La stratégie de protection
associant surveillance humaine renforcée et chiens, bien que d’une
efficacité très limitée dans des milieux à faible intervisibilité, a
également été testée sur le cas le plus emblématique du périmètre.
L’évaluation des conséquences économiques d’une telle stratégie a
conduit à la juger non réaliste pour la suite du travail. Pour 8 cas
stylisés d’élevages représentant la diversité des situations en matière
d’exposition au risque et de contraintes pour mettre en œuvre les moyens
de protection, nous avons scénarisé quatre stratégies de protection.
Elles consistent chacune en une combinaison de moyens de protection des
lots d’animaux au pâturage et de modifications de l’organisation des
surfaces et de la conduite du troupeau. Les extrêmes sont : la conduite
actuelle du troupeau est maintenue et tous les lots d’animaux au
pâturage sont protégés ; le troupeau au complet est rentré en bâtiment
et le lait n’est plus transformé en Roquefort AOP.
Principaux résultats
- La mise en œuvre de la protection modifierait le fonctionnement et les performances des élevages, les plus pâturants étant les plus impactés ; elle alourdirait le travail des éleveurs et nécessiterait le recours à du salariat ;
- Les scenarii de repli important ou total en bergerie impacteraient très fortement la viabilité économique des élevages ;
- A l’échelle du périmètre et pour protéger tous les lots d’animaux au pâturage, 3 400 kilomètres de clôtures fixes, 2 850 chiens et 74 salariés seraient nécessaires ;
- Le coût annuel moyen de la protection par élevage serait de 24 000 euros (scenario conduite de troupeau non modifiée) ou 20 000 euros (conduite de troupeau modifiée a minima, afin de réduire les coûts de protection) ;
- Compte tenu de la prise en charge partielle par le plan loup 2013-2017 du coût de protection, entre 25 et 40 % des élevages laitiers seraient sous le seuil de viabilité économique ;
- La mise en œuvre de la protection dans les élevages aurait des conséquences néfastes sur les paysages et la biodiversité inféodée aux milieux ouverts, ainsi que sur la dynamique agricole locale.
Des élevages devenus peu viables dans des paysages banalisés
Cette recherche en Aveyron montre que la mise en œuvre de la protection contre la prédation par les loups aurait des conséquences importantes dans les territoires où la densité d’élevage ovin est forte et où les enjeux zootechniques de production impliquent des durées longues de pâturage et nécessitent plusieurs lots d’animaux conduits simultanément dans des parcs de pâturage distincts. Dans tous les scenarii, et en mobilisant les dispositions actuelles du plan loup 2013-2017, la viabilité d’une partie des élevages se trouverait affectée, générant des cessations d’activité et, pour les élevages restants, la nécessité d’intensifier leurs modes de production. Ceci est sans considérer la perte du sens que les éleveurs donnent à leur activité et la remise en cause du choix de systèmes économes valorisant des ressources naturelles pâturées. Enfin, cette mise en œuvre de stratégies de protection conduirait à un risque de partition des paysages des Grands Causses entre espaces cultivés (prairies temporaires essentiellement fauchées) et espaces naturels plutôt fermés et boisés, sans présence d’activités agricoles. Ceci induirait un paysage banalisé, de bien moindre attractivité touristique et valeur patrimoniale que celui actuellement classé par l’UNESCO.
Contact(s)
Contact(s) scientifique(s) :
Marie-Odile Nozières-Petit – Inra, UMR Selmet (Montpellier)
Contact partenaire :
Charles-Henri Moulin – Montpellier SupAgro, UMR Selmet (Montpellier)
Laurent Garde – CERPAM (Manosque)
Département(s) associé(s) : Sciences pour l’action et le développement
Centre(s) associé(s) : Occitanie-Montpelier