Pour ceux qui ne sont pas instruit de l'affaire, il est conseillé de lire en premier:
pour comprendre la réponse de Margot
Début novembre, des membres de l'ASPAS ont pénétré dans le parc électrifié (à coté de la maison) où pâturaient nos brebis dans le but de faire « la preuve » de l'inefficacité des mesures mises en œuvre par les éleveurs pour protéger leur troupeau des attaques de loups. Ils ont filmé cette
intrusion et l'ont insérée dans une petite vidéo diffusée sur internet et relayée par le Dauphiné Libéré du 13 novembre.
Dans cette vidéo, nous apprenons que « des éleveurs qui ne font pas leur boulot, ça n'a rien d'exceptionnel. Ici, du côté de Glandage, ils méritent bien leur nom ». La violence de ces propos diffamatoires pourrait facilement nous entraîner sur le terrain des querelles stériles entre « proloups » et « anti-loups », entre les « écolos » et les éleveurs, qui par opposition seraient anti-écolos.
Il nous semblait néanmoins important de réagir à cette provocation qui, comme l'ensemble de la communication de l'ASPAS, repose sur une approche simpliste et puérile de la question sans jamais apporter d'éléments de fond. Visiblement, pour l'ASPAS, rendre quelques espèces animales emblématiques intouchables et sanctuariser des poches de biodiversité constituerait une réponse
pertinente aux problèmes environnementaux. Mais ces choix de gestion ne sont pas sans conséquences. Celles-ci sont systématiquement occultées par le côté émotionnel, voire sensationnel, des campagnes de l'ASPAS : qui peut se montrer insensible à l'image d'un louveteau au regard tendre ou de Bambi qui voit sa maman tuée par un chasseur ?. Ces conséquences, nous voulons les éclairer en témoignant de nos réalités de paysans.
Nous sommes paysans sur une petite ferme de montagne, en polyculture-élevage. Nous produisons des légumes en traction animale, à partir de semences paysannes et biologiques, reproduites en partie à la ferme. Nous avons des ruches, des poules, des cochons et un troupeau de brebis mérinos qui parcourt les landes avoisinantes, fournit la fumure pour les cultures, produit de la viande, un peu de lait pour la famille, et surtout de la laine que nous transformons localement. Toutes nos productions sont vendues en circuit court. Nous avons construit notre ferme sur l'association de l'agriculture et de l'élevage dans un souci de cohérence globale et d'autonomie. Le choix de l'agriculture biologique et de la traction animale nous permet de mettre en pratique nos préoccupations environnementales.
Nous sortons nos brebis la journée, gardées dans des parcs électrifiés (la gestion en parcs nous permet de travailler sur les autres productions et de garder du temps pour la vie de famille,...), et les rentrons la nuit en bergerie. Le loup attaquant encore majoritairement la nuit dans le secteur, nous avons jusqu'à maintenant été épargnés. Mais nous vivons cette situation comme un sursis ; que le loup vienne à attaquer le jour et c'en est fini de notre élevage. Ce que montre cette vidéo, et c'est regrettable, c'est avant tout à quel point ses auteurs ignorent tout de nos pratiques. A terme, de telles agissements ne peuvent qu'entraîner une rupture entre la société civile et ses paysans et faire la part belle à l'agriculture industrielle que nous combattons.
Si l'on suit le raisonnement de l'ASPAS, le seul moyen de continuer à faire de l'élevage en présence du loup consisterait à enfermer les bêtes, c'est-à-dire à faire du hors sol et de l'élevage industriel. En cela, l'usine des 1000 vaches de Mr Ramery serait un exemple possible de cohabitation réussi entre le loup et l'élevage.
Mais nous arriverions là aux antipodes de ce qu'est l'élevage pastoral : des éleveurs et des bergers qui font pâturer leurs animaux dans des milieux naturels où ils prélèvent leur alimentation. Bref, au travers d'interactions complexes entre l'homme, des animaux d'élevage et un milieu naturel, il s'agit de tirer profit d'une biodiversité existante et d'en assurer le renouvellement.
Compte tenu de l'absence de moyens de protection réellement efficaces contre le loup, l'élevage pastoral n'a aucune chance de survivre face à ce prédateur. On aura alors perdu la biodiversité et la richesse culturelle liées au pastoralisme, au bénéfice d'une seul espèce, aussi emblématique soi telle. Le bilan global n'est-il pas légèrement négatif ?
Pour nous, le discours de l'ASPAS est basé sur une vision de la nature anthropocentrée (c'est l'homme qui établit l'échelle de valeur des éléments de la nature) et symptomatique des pays riches, urbanisés et coupés de leurs racines paysannes. L'ASPAS ne se présente pas a priori comme hostile à l'élevage et s'en tient à sa position de refuser tout tir de loup.
Par ce discours simpliste, l'ASPAS prend le rôle du gentil protecteur de la nature et laisse apparaître les éleveurs comme des sanguinaires anti-écolo. Position hypocrite et irresponsable qui consiste à faire croire que la société et la nature ne tireront que des bienfaits d'une protection totale du loup, quitte à sacrifier l'élevage pastoral, son patrimoine humain et culturel et la biodiversité qui lui est lié. A ce train là, le loup ne risque-t-il pas d'incarner plutôt une forme de nature totalitaire ?
Margot, Éleveuse a Glandage
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