En plein jour, ce berger a pu photographier les loups qui encercle le troupeau
Hautes-Alpes : sept loups attaquent un troupeau en plein jour en présence du berger et
des chiens.
Laurent Garde – CERPAM – 23-12-2010
Le 6 novembre 2010, Philippe Lemoine, le berger de la montagne de Céuze dans les Hautes-Alpes,
garde son troupeau. Il fait beau, c’est le début de l’après-midi. Sur ce bas d’alpage, le terrain est
dégagé, facile à garder, facile à surveiller dans ce massif où les loups ont fait leur apparition depuis
deux ou trois ans. Il reste 700 brebis en fin de saison, les autres sont déjà redescendues. Auprès du
troupeau veille avec le berger ses trois chiens de conduite, l’un de ses deux chiens de protection, et
un âne sur lequel il compte pour donner l’alerte et impressionner les loups.
C’est alors qu’il voit sortir des buissons, à une centaine de mètres, un, deux, trois, sept loups qui
commencent à encercler son troupeau en longeant un sentier en contre-haut. Il est saisi de stupeur.
Certes, l’année dernière, il a déjà vu un loup dans les mêmes circonstances. Mais sept loups en
même temps ! Il sort son appareil photo et il parvient à en fixer six sur le cliché. Il est 14 h.
A ce moment déboule une randonneuse avec son chien face aux loups. Stupeur et affolement de la
dame. Les loups repassent la crête. Le berger, inquiet, rassemble son troupeau serré et redescend
vers les prés. Précaution inutile. C’est deux heures après que les loups attaquent. En plein jour, par
un beau soleil, un temps calme, sur un terrain parfaitement dégagé, près d’un hameau et d’une route
goudronnée, en présence du berger, de quatre chiens et d’un âne utilisé comme animal de
protection. Ils sont deux sur une brebis, l’un à la gorge, l’autre lui déchire les entrailles. Le chien de
protection, une jeune femelle qui a aboyé toute la nuit face aux loups ne bouge pas, comme
tétanisée. Il faut que le berger arrive sur les loups à moins de 30 m pour leur faire lâcher prise. La
brebis est encore vivante…
Traumatisé, le berger ramène ses bêtes au parc de nuit et appelle les éleveurs ainsi que
l’administration pour le constat. On est samedi, les gardes monteront le lundi, d’ici là il faut préserver
la carcasse des charognards pour pouvoir être constatée, le berger amène sa remorque et la
retourne sur la brebis morte.
Le lendemain, jour de brouillard. L’un des éleveurs est monté soutenir le berger. Inquiets, les deux
hommes sortent le troupeau à proximité immédiate des chalets, sur d’anciens prés de fauche pour
mieux surveiller les bêtes à un endroit où il passe du monde. Cette fois, les deux chiens de protection
sont présents avec les trois chiens de conduite. Ce qui n’empêche pas les loups d’attaquer à
nouveau. La veille ils ont été privés de leur proie. Ce jour ils changent de tactique, et malgré les deux
hommes et les cinq chiens courant, hurlant, aboyant, ils coursent une brebis à l’écart vers les bois et
les ravins pour la consommer tranquillement. La carcasse ne sera pas retrouvée.
C’en est trop. La coupe est pleine. Les éleveurs enferment leurs bêtes et décident de les rapatrier à
l’abri, deux semaines avant la date prévue. En urgence, il faut les trier. Les compter. Renoncer au
camion qui avait été réservé et multiplier les voyages avec la petite bétaillère de l’un des éleveurs.
Organiser l’accueil des bêtes sur le site de transhumance hivernale où les brebis n’étaient attendues
que 15 jours après, dans les Bouches-du-Rhône. Le 9 novembre, le démontagnage est terminé après
trois jours de travail d’urgence qui désorganise le planning des éleveurs et des gestionnaires.
Le berger a 54 ans. Il est très expérimenté. C’est sa cinquième saison de garde sur la montagne. Il
accompagne les brebis en permanence tout au long des heures de pâturage. Depuis l’arrivée des
loups, il rajoute des heures de surveillance au moment où les bêtes chôment aux heures chaudes de
la journée. La nuit, il double l’enclos en grillage d’un parc en filets pour que les loups n’affolent pas
les bêtes « Ce n’est plus une vie. Maintenant, c’est 300 à 400 heures de travail par mois. Tu n’as plus le temps de rien, de faire ta vaisselle, de voir des gens. Le stress, je prends des cachets pour dormir.
L’aide-berger, ça n’est pas possible, on le loge où, la cabane est petite, à mon âge, c’est pas évident
de cohabiter avec quelqu’un avec qui t’as pas forcément d’affinités. »
Sur cette montagne, le groupement pastoral s’était engagé sur un contrat agri-environnemental
pour la gestion des habitats remarquables de ce site Natura 2000.
Que faut-il faire désormais face à des loups qui ignorent toute crainte ? Que faut-il faire de plus dans
les alpages quand la quasi-totalité des troupeaux disposent déjà d’un berger permanent et, bien
souvent, d’un aide-berger ? Que faut-il faire de plus dans un contexte où la grande majorité des
troupeaux attaqués par des loups sont surveillés par des chiens de protection ? Que faut-il faire de
plus alors que la moitié des attaques de loups se produit désormais en plein jour dans les Alpes du
Sud et que ni la présence des hommes, ni celle des chiens ne les découragent ?
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